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Les éditeurs de thèses et mémoires : pièges à éviter

3 février 2016

Vous est-il déjà arrivé d'être sollicité afin de publier un article dans une revue scientifique, avec promesse de publication dans des délais exceptionnels? Ou alors, peut-être une maison d'édition académique vous a-t-elle offert de publier gratuitement votre thèse de doctorat, puis de diffuser celle-ci largement dans des catalogues de librairies en ligne? Ces occasions vous ont-elles semblées trop belles pour être vraies?

Depuis quelques années, de nombreux chercheurs ont été sollicités par des éditeurs, souvent qualifiés de « prédateurs », afin de publier les résultats de leurs recherches dans des conditions qui défient les règles habituelles de la publication scientifique. Ces sollicitations se présentent généralement sous forme de courriel au ton flatteur, encensant les travaux précédents du chercheur, avant d'offrir à celui-ci de publier les résultats de sa recherche pour le compte de l'éditeur. Ces offres peuvent sembler alléchantes, mais il importe d'être vigilant lorsque de telles occasions se présentent. Sans être nécessairement frauduleuses, les pratiques de ces éditeurs s'avèrent généralement peu orthodoxes par rapport aux normes de publication scientifique, et peuvent ainsi nuire à votre crédibilité de chercheur.

Le présent article, en deux parties, vise donc à vous informer des pratiques de ces éditeurs et à vous proposer certains critères ou caractéristiques vous permettant de les identifier. Cette première partie portera particulièrement sur un type d'éditeur aux pratiques discutables : les éditeurs de thèses et mémoires sous forme de livre. L'article suivant s'intéressera quant à lui aux éditeurs de revues pseudo-scientifiques.

Les éditeurs de thèses et mémoires

Ce premier type d'éditeur se spécialise dans la publication de thèses ou de mémoires sous forme de livres. Ces maisons d'édition, aux noms apparemment crédibles tels que les Presses Académiques Francophones, Les Éditions Universitaires Européennes ou Lambert Academic Publishing, ratissent les bases de données de thèses et de mémoires afin de récolter les coordonnés des diplômés, puis contactent ceux-ci par envois de courriels massifs. Elles leur proposent de publier gratuitement leur thèse ou leur mémoire, puis de diffuser celui-ci largement dans divers catalogues de librairies en ligne en offrant une redevance de 12 % des ventes à l'auteur. Ces conditions de publication peuvent sembler avantageuses, mais il importe d'y apporter plusieurs bémols.

Tout d'abord, Les Éditions Universitaires Européennes, les Presses Académiques Francophones ou Lambert Academic Publishing constituent trois des 24 filiales du consortium allemand VDM dont le modèle d'affaires repose sur celui de l'auto-publication (Couturier, 2012). Dans ce modèle d'affaires, l'auteur s'occupe de réaliser la mise en page de son ouvrage, alors que la maison d'édition n'effectue aucun travail éditorial et se contente d'imprimer celui-ci sur demande. Ces livres sont ensuite déposés dans quelques catalogues de librairies en ligne, notamment dans le catalogue de l'éditeur et sur Amazon.

Visibilité sur le Web

La présence de la thèse dans divers catalogues en ligne ne permet pas nécessairement d'augmenter sa visibilité sur le Web, ne serait-ce qu'à cause du grand nombre d'ouvrages que publient ces éditeurs. En date du mois de janvier 2016, on dénombrait 3 159 titres dans le catalogue des Presses Académiques Francophones, 15 186 dans celui des Éditions Universitaires Européennes et 110 418 dans celui de Lambert Academic Publishing! De plus, ces ouvrages sont vendus à des prix pouvant grimper jusqu'à 200 $, obstacle nuisant certainement à leur accessibilité.

À ce propos, sachez que l'ensemble des thèses et mémoires déposés à l'ÉTS sont disponibles gratuitement en accès libre sur la vitrine de diffusion Espace ÉTS afin de favoriser leur rayonnement et démocratiser l'accès au savoir. Cette vitrine est d'ailleurs moissonnée par les moteurs de recherche Google, Google Scholar et OAIster. Les thèses et mémoires de l'ÉTS sont aussi disponibles sur les bases de données spécialisées Portail Thèses Canada et ProQuest Dissertations and Theses. Ainsi, nul besoin pour le lecteur de payer le gros prix afin de consulter les résultats de vos recherches!

Redevances

Les redevances obtenues sur les ventes du livre ne sont pas non plus particulièrement avantageuses pour l'auteur. En effet, la lecture attentive des contrats d'édition nous apprend que l'auteur ne reçoit aucune redevance si celle-ci n'atteint pas 10 euros par mois. Entre 10 et 50 euros par mois, ces redevances ne sont remises que sous forme de crédit à échanger contre des publications de la maison d'édition. De plus, une fois les nombreuses déductions retirées, l'auteur ne reçoit en réalité que 5 % à 6 % de redevances sur les ventes de son ouvrage (contrairement aux 12 % mentionnés dans le contrat d'édition) (Tamburri, 2013). L'Université catholique d'Australie a d'ailleurs calculé que, pour une thèse vendue au prix moyen de 80 euros, il faudrait vendre environ 11 exemplaires de celle-ci par mois afin que l'auteur puisse toucher des redevances pécuniaires (Australian Catholic University, [2015]).

Processus éditorial

Finalement, ces maisons d'édition ne procèdent à aucun processus de révision des manuscrits, contrairement aux éditeurs scientifiques ou académiques traditionnels. La publication auprès de l'une de ces maisons d'édition n'apporte donc aucune valeur ajoutée à votre ouvrage. Pire, elle pourrait entacher votre curriculum vitae de chercheur puisqu'elle laisse entendre que vous ne comprenez pas le processus de révision par les pairs, ou du moins l'intérêt d'un tel système de publication.

Il est aussi important de lire attentivement les contrats d'édition proposés par ces éditeurs afin de s'assurer qu'ils n'aillent pas à l'encontre des licences de diffusion signées auprès de l'ÉTS et de Bibliothèque et Archives Canada. La plupart des maisons d'édition, tout comme les éditeurs de revues scientifiques, refusent de publier un texte dont ils n'ont pas l'exclusivité. C'est pourquoi seules les thèses ayant subi un important travail de réécriture ont une chance d'être publiées par une maison d'édition crédible (Couturier, 2012; Dugas, 2014). Dans le même ordre d'idées, il serait aussi possible qu'une revue scientifique refuse de publier les résultats de vos travaux, si ceux-ci ont déjà été publiés sous forme de livre par un autre éditeur (Australian Catholic University, [2015]). Bref, publier auprès de l'une de ces maisons d'édition peut certainement s'avérer un obstacle à vos publications ultérieures.

Pour résumer, l'offre proposée par ces éditeurs de thèses et mémoires n'est pas illégale ou frauduleuse. Elle peut peut-être s'avérer intéressante pour un jeune diplômé qui désirerait acquérir une copie publiée de sa thèse ou de son mémoire. Cependant, ce système ne lui permettra pas d'augmenter la visibilité des résultats de sa recherche sur le Web, ni d'obtenir des redevances significatives sur la vente de son ouvrage. Il pourrait même l'empêcher de publier dans certaines revues scientifiques, voire nuire à sa crédibilité de chercheur si son ambition est de poursuivre dans le domaine de la recherche scientifique.

La suite de cet article s'intéressera plus particulièrement aux pratiques plus frauduleuses des éditeurs de revues pseudo-scientifiques.

Par Marie-Renée De sève Leboeuf
Source: Substance ÉTS

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