Une enquête révèle la diversité des parcours des étudiantes et des étudiants en enseignement dans les universités québécoises, leurs aspirations et attentes et les embûches qu'ils rencontrent.
Transmettre des connaissances, contribuer à l'éducation citoyenne, travailler auprès des jeunes, tels sont les motifs qui animent 90 % de celles et ceux qui étudient pour devenir enseignants. Mais derrière ces élans, une réalité plus dure se dessine: près de la moitié ont déjà songé à abandonner leur formation en raison des embûches rencontrées pendant leur parcours universitaire.
C'est ce que nous apprend l'Enquête nationale auprès des étudiantes et étudiants en formation à l'enseignement dans les universités québécoises, réalisée par des membres du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), dont Cecilia Borges, professeure au Département de psychopédagogie et d'andragogie de l'Université de Montréal.
Menée à la suite de la pandémie de COVID-19, au cours des années universitaires 2021-2022 et 2022-2023, l'Enquête, une première au Québec, lève le voile sur la diversité des profils et des parcours de 2902 personnes inscrites en formation à l'enseignement.
Le recrutement des participantes et participants s'est fait en collaboration avec l'Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l'étude et la recherche en éducation au Québec.
Une diversité de profils et de parcours
Avec une population étudiante majoritairement féminine (80,6 %), âgée de 35 ans et moins (72,8 %) et née au Canada (85 %), le profil étudiant traditionnel demeure dominant dans les programmes de formation à l'enseignement.
Cependant, l'analyse des données recueillies révèle une diversification croissante des profils des étudiantes et étudiants:
- 30,5 % ont des enfants;
- 20 % sont issus de groupes minoritaires;
- 27 % sont inscrits à temps partiel;
- 29 % vivent chez leurs parents;
- 31 % ont déjà un diplôme universitaire.
Aussi, ce métissage des profils colore les attentes à l'égard de la formation, une proportion importante des répondantes et répondants réclamant des parcours adaptés à leur réalité, dont des cours du soir, des options à distance ou une reconnaissance des acquis professionnels.
«Ce qu'on voit, c'est une population étudiante qui a changé, mentionne Cecilia Borges. Le système doit s'adapter, non pas en assouplissant la formation au détriment de sa qualité, mais en la rendant plus flexible et inclusive.»
De fait, la conciliation des différentes sphères d'activité représente le principal défi pour ces étudiantes et étudiants: 92,5 % rapportent des difficultés à concilier études et vie personnelle, tandis que 83,7 % peinent à concilier études et travail.
De plus, leur situation financière constitue une source de préoccupation: 60 % dépendent d'un soutien familial, près de la moitié (43,6 %) recourent aux prêts et bourses et 57 % travaillent pendant leurs études.
Entre exigence et manque de reconnaissance
L'Enquête pointe différents aspects qui pèsent sur la motivation des futurs enseignants et enseignantes.
C'est le cas du test de certification en français écrit pour l'enseignement, mieux connu dans le milieu sous l'acronyme TECFEE. Si l'exigence linguistique est légitime, la manière dont ce test est intégré dans le parcours ainsi que le manque de soutien pour s'y préparer en font un facteur de décrochage, selon les témoignages recueillis.
«Ce n'est pas le retrait du TECFEE qui est demandé, mais un accompagnement plus rigoureux, plaide Cecilia Borges. Nous remarquons des liens importants entre les résultats aux cours de français écrit offerts dans notre faculté [des sciences de l'éducation] et la réussite au TECFEE. Ainsi, ce test ne devrait pas être vu comme une barrière arbitraire, mais comme un outil d'aide à la communication chez les enseignantes et enseignants.»
Une autre pierre d'achoppement est le stage non rémunéré. L'Enquête a mis en relief la pertinence de rémunérer les stages et de rendre plus facile l'accès aux bourses. Selon Cecilia Borges, une piste à explorer serait le stage en situation d'emploi, toujours accompagné et supervisé par une personne compétente en milieu scolaire.
«On peut aussi penser au stage sous la forme d'une résidence pédagogique, une idée inspirée du domaine de la santé, ajoute-t-elle. Bien qu'il soit embryonnaire, à la faculté, nous menons un projet pilote en ce sens en milieu scolaire. Bref, il est important de valoriser ce travail des étudiantes et étudiants pendant les stages, car, bien qu'en formation, ils contribuent à l'éducation des élèves, souvent dans des environnements exigeants et le temps est venu de reconnaître leur apport.»
Par ailleurs, un écart entre la formation en classe et la réalité du terrain est dénoncé. Cet écart est exacerbé par un manque d'accompagnement des nouveaux enseignants et enseignantes dans des contextes difficiles. «Ce n'est pas que la formation est insuffisante ou mauvaise, et la formation initiale a beaucoup changé et s'est améliorée au fil des ans, mais le processus d'insertion professionnelle en milieu scolaire doit être amélioré», indique Cecilia Borges, qui a suivi de près 55 membres du personnel enseignant en insertion professionnelle au cours d'une précédente recherche longitudinale sur cinq ans, subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines.
«Les répondantes et répondants ne demandent pas de la facilité, insiste-t-elle. Ils ont un esprit critique, sont souvent en réorientation de carrière et s'attendent à ce que la formation soit à la hauteur de la complexité de la profession.»
Des recommandations concrètes et pressantes
Pour répondre à ces constats, le rapport avance plusieurs recommandations.
En tête de liste: un soutien accru sur les plans tant financier que psychosocial, dont des bourses plus accessibles, des mesures de soutien pour les étudiants et étudiantes en situation précaire ou en reconversion et une reconnaissance des acquis professionnels.
Les signataires du rapport insistent aussi sur la nécessité de renforcer la cohérence et la collaboration entre les différentes instances engagées dans la formation et l'insertion, dont les universités, les établissements scolaires et les ministères concernés.
«Or, pour résoudre une pénurie structurelle dans le milieu de l'enseignement, il est essentiel de mettre en place des programmes de qualification réfléchis et durables», affirme Cecilia Borges, qui critique les pressions gouvernementales visant à réduire la durée ou le contenu des formations, sans réelle consultation des universités.
La flexibilité des parcours est également centrale: des formations à temps partiel, des cours hybrides ou à distance ou en sessions intensives doivent être élaborés pour répondre aux besoins de la population étudiante.
Tout n'est pas sombre, malgré les incertitudes
Malgré les nombreux défis mis en lumière, l'étude se termine sur une note d'optimisme. Près de 84 % des répondantes et répondants se disent enthousiastes à l'idée de commencer leur carrière et les deux tiers d'entre eux envisagent de rester dans l'enseignement jusqu'à leur retraite.
«Les étudiantes et les étudiants veulent enseigner, ils sont motivés, réfléchis, engagés, dit Cecilia Borges. Il faut leur donner les moyens d'exercer leur métier dans de bonnes conditions et ce n'est pas la formation seule qui réglera la pénurie. Il faut une vision globale de l'accès, de l'insertion et de la carrière.»
Le projet d'un observatoire de la profession enseignante, que souhaitait mettre sur pied le professeur Maurice Tardif, avant son décès, va dans ce sens. Ce projet se poursuit au CRIFPE, au sein du pôle sur la profession enseignante, où l'on recueille et analyse des données sur les trajectoires des enseignants et des enseignantes, de leur formation jusqu'à leur développement professionnel.
«Notre enquête n'est pas seulement un constat, c'est un appel à écouter celles et ceux qui veulent éduquer les générations futures, mais qui, pour y arriver, ont besoin d'un système qui les soutient vraiment, conclut Cecilia Borges. La pénurie d'enseignants et d'enseignantes ne se résoudra pas à coups de raccourcis : elle exige de voir plus loin, plus large et, surtout, de replacer l'humain au cœur de la solution.»
À propos de cette étude
«L'Enquête nationale auprès des étudiantes et étudiants en formation à l'enseignement dans les universités québécoises», par un collectif d'auteures et d'auteurs, a été publiée dans Papyrus, le dépôt institutionnel de l'Université de Montréal.